Les émeutes de Décembre 1959
en Martinique
Un
repère historique
Les historiens martiniquais écrivent,
systématiquement, au "présent historique". Une facilité méthodologique qui, non
seulement, aplatissait le réel, mais plus, brouillait le récit d'un pays qui
s'était épuisé dans une marginalisation suicidaire de la langue et de la culture
naturelles. Le livre de Louis-Georges Placide, Les émeutes de décembre 1959
en Martinique, emploie, sans modération, ce "présent historique", et son
sous-titre, Un repère historique, qui invite le lecteur à militer
contre l'oubli, en sorte d'un devoir de mémoire, interrogeait une hésitation
toute martiniquaise à construire un récit cohérent sur le pays réel.
En
couverture, cette photo d'un graffiti "22, 23, 24 De(ce)mbre 59. Rosine,
Betzi, Marajo ! Des jeunes fusillés par le colonialisme. Nous pé ké blié ça !!
Nous ké sa vengé yo !", démontrait la stigmatisation séculaire de la
langue et la culture martiniquaises ; une graphie confuse, bouillonne,
déconcertante, qui validait une des insuffisances majeures du politique en
Martinique, la faillite de la transmission de la mémoire. Les évènements de
décembre 1959 s'étaient bien déroulés du 20 au 22 Décembre et l'un des trois
jeunes assassinés répondait au surnom de Rozile. C'est,
essentiellement, la "mémoire des archives coloniales" qui balisait le discours
politique martiniquais, de l'assimilationnisme des zombis au patriotisme érudit,
en passant par la fierté raciale nègre césairienne hyper dépendante ; dans
cette "mémoire des archives coloniales", il n'y avait jamais de héros
martiniquais et les lieux n'y figuraient qu'à titre indicatif. Sans une "mémoire
collective martiniquaise" (celle qu'on ne trouvait pas forcément dans les
livres, celle qui était transmise, brute, d'une génération à une autre, -
nou te, nou te ka, nou te ke, nou se ka, nou se te, nou se te ka - mais
qui restait une des ressources politiques premières en ce qu'elle mobilisait
toutes les ressources de la langue et de la culture martiniquaises) qui
circulerait, durablement, dans la population, la construction historique,
restait précaire.
Tout se passait comme si aucun groupe
martiniquais n'avait porté un projet historique et qu'au fond, ce peuple était
condamné à répéter les inaltérables révoltes, les émeutes raciales et jamais
initier les chemins ardents de l'initiative politique. Privilégiant les
témoignages d'acteurs et spectateurs de Décembre 1959, les comptes rendus de la
presse de l'époque, l'analyse de textes et d'expressions artistiques diverses
sur ces évènements, Louis Georges Placide avait fait le choix méthodologique de
la "mémoire collective martiniquaise". C'est que la "mémoire des archives
coloniales" transformait, intrinsèquement, tout acte de résistance martiniquaise
en autant de traits du folklore local, en un coup de tête d'un
bouk-kabrit solitaire contre la clôture. Plus avant, l'auteur décrivait
un après Décembre 1959, hautement politique, l'éclosion des mouvements
nationalistes et patriotiques, l'OJAM (Organisation de la Jeunesse
Anticolonialiste Martiniquaise) y était présentée comme fille de Décembre
59, mais paradoxalement la qualification des évènements de décembre 1959 en
émeutes, fussent elles populaires, renvoyait, tout de go, à la "mémoire des
archives coloniales".
Pourquoi l'auteur avait-il conservé cette
qualification d'émeutes ? Quels contextes sociaux et politiques locaux avaient
permis ces évènements ? Dans quel contexte politique international s'étaient
déroulés ces évènements ? Quelles logiques politiques nouvelles étaient sorties
de ces évènements ? Comment passait on du travail de l'historien à cette
"mémoire collective martiniquaise" ? Comment la "mémoire collective
martiniquaise", celle que faisaient circuler les associations de défense et de
promotion de la personnalité martiniquaise, les partis politiques et les leaders
d'opinion, lors des "Sonhe Sektanm 1870", "Sonhe Desanm 59" ou
"22 Me, chenn pete", agissait-elle sur les représentations
individuelles ? Dans le livre de Louis-Georges Placide, les nombreux témoins des
évènements de Décembre 1959 ne racontaient pas toujours la même histoire. Ici ou
là, un sousèkè universel (la langue haïtienne dit an
souflantjou) avait trouvé quelques humanités à l'armée coloniale.
Le sous-titre du livre de Louis Georges Placide,
Un repère historique, indiquait que l'auteur avait inscrit ces
évènements dans une continuité historique martiniquaise. Il y avait un avant et
un après les évènements de Décembre 1959. Dès lors, cette qualification
d'émeutes de Décembre 1959 nous semblait réductrice, inappropriée. Une
émeute renvoyait à la spontanéité, à une action collective brusque et violente,
ou très violente, qui ne durait pas. L'émeute justifiait une opposition raciale
ou sociale brute ; les émeutiers se contentaient de lancer des cailloux
(voye wòch), de brûler, de piller. Il n'y avait pas, ici, une montée en
puissance, l'émeute n'avait pas de projet, elle n'avait donc pas de motivations
politiques, elle n'avait pas de leaders politiques clairement identifiés. Une
insurrection était par définition toujours politique, elle visait le pouvoir en
place à travers ses symboles, ses représentants et ayants-droit politiques, elle
avait des leaders politiques clairement identifiés et une hiérarchie dans son
commandement. Lors d'une insurrection, il y avait toujours une montée en
puissance, un projet politique, stricto sensu, un, des moments
d'inertie, puis un reflux par paliers. Les évènements de Décembre 1959 en
Martinique avaient bien dépassé la simple émeute même s'ils n'avaient pas
permis l'éclosion d'un, de leaders politiques.
Louis Georges Placide avait fait court, très
court, trop court sur le contexte international et caribéen auquel il n'avait
consacré qu'un petit paragraphe ; mais il avait analysé scrupuleusement le
cheminement de l'assimilation intégrale de la Martinique et posait d'emblée ces
évènements de Décembre 1959 comme une contestation de la loi scélérate de Mars
1946 qui avait frappé les martiniquais d'un maléfice d'indignité politique ;
l'assimilation intégrale avait dépolitisé, plus, déshumanisé le martiniquais,
une écrasante majorité de ces derniers, 78,9%, avait été jusqu'à voter, le 10
Janvier 2010, sous le commandement des héritiers d'Aimé Césaire, contre le
principe d'un intérêt martiniquais dans la République Française. C'était
d'ailleurs, Aimé Césaire, alors rapporteur de la loi infâme de Mars 1946 qui
avait déclaré, lors d'une interview, citée par Louis-George Placide dans Les
émeutes de Décembre 1959 en Martinique : "ce que demandaient les
Martiniquais, c'était la fin d'un certain régime, un régime colonial, la fin du
règne du gouverneur tout puissant, la fin de la ségrégation (...) Voilà ce que
les Martiniquais entendaient par assimilation, et le mot je l'ai changé car ses
connotations culturelles sont humiliantes et sont graves pour la personnalité
humaine. Jai dit départementalisation, c'était un néologisme", il se
reconnaissait là, lui-même, une insoutenable incompétence politique. Au fil du
récit, Louis-George Placide avait abandonné cette idée de la première
contestation de l'assimilation intégrale et, revenant aux paradigmes de la
linéarité de l'histoire (si A alors B, forcément), l'historien martiniquais
s'était appliqué à la description du contexte social, puis au recueil de
témoignages (en manière d'une histoire immédiate, d'une histoire à chaud) qui,
du récit militant à la prise de position ultra-assimilationniste et
anti-communiste, pervertissaient le rendu clair des évènements et du contexte,
nous faisaient retomber dans l'inorganisé, la spontanéité, l'émeute en un
mot.
Pou plis, Pimpe
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