samedi 21 décembre 2013

Rete-sonhe Desanm 59

Les émeutes de Décembre 1959

en Martinique
Un repère historique
Gloriye-Desanm.59 Les émeutes de Décembre 1959 en Martinique
Les historiens martiniquais écrivent, systématiquement, au "présent historique". Une facilité méthodologique qui, non seulement, aplatissait le réel, mais plus, brouillait le récit d'un pays qui s'était épuisé dans une marginalisation suicidaire de la langue et de la culture naturelles. Le livre de Louis-Georges Placide, Les émeutes de décembre 1959 en Martinique, emploie, sans modération, ce "présent historique", et son sous-titre, Un repère historique, qui invite le lecteur à militer contre l'oubli, en sorte d'un devoir de mémoire, interrogeait une hésitation toute martiniquaise à construire un récit cohérent sur le pays réel. 

Desanm 59En couverture, cette photo d'un graffiti "22, 23, 24 De(ce)mbre 59. Rosine, Betzi, Marajo ! Des jeunes fusillés par le colonialisme. Nous pé ké blié ça !! Nous ké sa vengé yo !", démontrait la stigmatisation séculaire de la langue et la culture martiniquaises ; une graphie confuse, bouillonne, déconcertante, qui validait une des insuffisances majeures du politique en Martinique, la faillite de la transmission de la mémoire. Les évènements de décembre 1959 s'étaient bien déroulés du 20 au 22 Décembre et l'un des trois jeunes assassinés répondait au surnom de Rozile. C'est, essentiellement, la "mémoire des archives coloniales" qui balisait le discours politique martiniquais, de l'assimilationnisme des zombis au patriotisme érudit, en passant par la fierté raciale nègre césairienne hyper dépendante ; dans cette "mémoire des archives coloniales", il n'y avait jamais de héros martiniquais et les lieux n'y figuraient qu'à titre indicatif. Sans une "mémoire collective martiniquaise" (celle qu'on ne trouvait pas forcément dans les livres, celle qui était transmise, brute, d'une génération à une autre, - nou te, nou te ka, nou te ke, nou se ka, nou se te, nou se te ka - mais qui restait une des ressources politiques premières en ce qu'elle mobilisait toutes les ressources de la langue et de la culture martiniquaises) qui circulerait, durablement, dans la population, la construction historique, restait précaire.
Tout se passait comme si aucun groupe martiniquais n'avait porté un projet historique et qu'au fond, ce peuple était condamné à répéter les inaltérables révoltes, les émeutes raciales et jamais initier les chemins ardents de l'initiative politique. Privilégiant les témoignages d'acteurs et spectateurs de Décembre 1959, les comptes rendus de la presse de l'époque, l'analyse de textes et d'expressions artistiques diverses sur ces évènements, Louis Georges Placide avait fait le choix méthodologique de la "mémoire collective martiniquaise". C'est que la "mémoire des archives coloniales" transformait, intrinsèquement, tout acte de résistance martiniquaise en autant de traits du folklore local, en un coup de tête d'un bouk-kabrit solitaire contre la clôture. Plus avant, l'auteur décrivait un après Décembre 1959, hautement politique, l'éclosion des mouvements nationalistes et patriotiques, l'OJAM (Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste Martiniquaise) y était présentée comme fille de Décembre 59, mais paradoxalement la qualification des évènements de décembre 1959 en émeutes, fussent elles populaires, renvoyait, tout de go, à la "mémoire des archives coloniales".
Pourquoi l'auteur avait-il conservé cette qualification d'émeutes ? Quels contextes sociaux et politiques locaux avaient permis ces évènements ? Dans quel contexte politique international s'étaient déroulés ces évènements ? Quelles logiques politiques nouvelles étaient sorties de ces évènements ? Comment passait on du travail de l'historien à cette "mémoire collective martiniquaise" ? Comment la "mémoire collective martiniquaise", celle que faisaient circuler les associations de défense et de promotion de la personnalité martiniquaise, les partis politiques et les leaders d'opinion, lors des "Sonhe Sektanm 1870", "Sonhe Desanm 59" ou "22 Me, chenn pete", agissait-elle sur les représentations individuelles ? Dans le livre de Louis-Georges Placide, les nombreux témoins des évènements de Décembre 1959 ne racontaient pas toujours la même histoire. Ici ou là, un sousèkè universel (la langue haïtienne dit an souflantjou) avait trouvé quelques humanités à l'armée coloniale.
Le sous-titre du livre de Louis Georges Placide, Un repère historique, indiquait que l'auteur avait inscrit ces évènements dans une continuité historique martiniquaise. Il y avait un avant et un après les évènements de Décembre 1959. Dès lors, cette qualification d'émeutes de Décembre 1959 nous semblait réductrice, inappropriée. Une émeute renvoyait à la spontanéité, à une action collective brusque et violente, ou très violente, qui ne durait pas. L'émeute justifiait une opposition raciale ou sociale brute ; les émeutiers se contentaient de lancer des cailloux (voye wòch), de brûler, de piller. Il n'y avait pas, ici, une montée en puissance, l'émeute n'avait pas de projet, elle n'avait donc pas de motivations politiques, elle n'avait pas de leaders politiques clairement identifiés. Une insurrection était par définition toujours politique, elle visait le pouvoir en place à travers ses symboles, ses représentants et ayants-droit politiques, elle avait des leaders politiques clairement identifiés et une hiérarchie dans son commandement. Lors d'une insurrection, il y avait toujours une montée en puissance, un projet politique, stricto sensu, un, des moments d'inertie, puis un reflux par paliers. Les évènements de Décembre 1959 en Martinique avaient bien dépassé la simple émeute même s'ils n'avaient pas permis l'éclosion d'un, de leaders politiques.
Louis Georges Placide avait fait court, très court, trop court sur le contexte international et caribéen auquel il n'avait consacré qu'un petit paragraphe ; mais il avait analysé scrupuleusement le cheminement de l'assimilation intégrale de la Martinique et posait d'emblée ces évènements de Décembre 1959 comme une contestation de la loi scélérate de Mars 1946 qui avait frappé les martiniquais d'un maléfice d'indignité politique ; l'assimilation intégrale avait dépolitisé, plus, déshumanisé le martiniquais, une écrasante majorité de ces derniers, 78,9%, avait été jusqu'à voter, le 10 Janvier 2010, sous le commandement des héritiers d'Aimé Césaire, contre le principe d'un intérêt martiniquais dans la République Française. C'était d'ailleurs, Aimé Césaire, alors rapporteur de la loi infâme de Mars 1946 qui avait déclaré, lors d'une interview, citée par Louis-George Placide dans Les émeutes de Décembre 1959 en Martinique : "ce que demandaient les Martiniquais, c'était la fin d'un certain régime, un régime colonial, la fin du règne du gouverneur tout puissant, la fin de la ségrégation (...) Voilà ce que les Martiniquais entendaient par assimilation, et le mot je l'ai changé car ses connotations culturelles sont humiliantes et sont graves pour la personnalité humaine. Jai dit départementalisation, c'était un néologisme", il se reconnaissait là, lui-même, une insoutenable incompétence politique. Au fil du récit, Louis-George Placide avait abandonné cette idée de la première contestation de l'assimilation intégrale et, revenant aux paradigmes de la linéarité de l'histoire (si A alors B, forcément), l'historien martiniquais s'était appliqué à la description du contexte social, puis au recueil de témoignages (en manière d'une histoire immédiate, d'une histoire à chaud) qui, du récit militant à la prise de position ultra-assimilationniste et anti-communiste, pervertissaient le rendu clair des évènements et du contexte, nous faisaient retomber dans l'inorganisé, la spontanéité, l'émeute en un mot.
Pou plis, Pimpe

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