Sainte-Luce, Martinique : Les très nettes victoires de messieurs Jean-Philippe Nilor, 69.41% dans la circonscription du Sud ; Bruno Nestor Azérot, 55.47% dans la circonscription du Nord ; et, Alfred Marie-Jeanne, 52.43% dans la circonscription du Centre-Atlantique (il faut y associer le bon comportement électoral de messieurs Francis Carole, 29.76% à Fort-de-France, et Marcellin Nadeau lors du premier tour dans le Nord), ont validé magistralement un sain retour du politique dans un espace publique martiniquais égaré par/dans une idéologie hyper-assimilationniste et gestionnaire, dite de "l'égalité sociale", depuis la défaite politique du Pays-Martinique lors de la consultation populaire du 10 Janvier 2010.
Ces trois victoires ne sanctionnent pas la seule gouvernance désastreuse (la gouvernance n'est pas seulement une gestion politique) du PPM et Ensemble pour une Martinique Nouvelle dans les trois principales collectivités territoriales françaises en Martinique (Conseil Général, Conseil Régional et Ville de Fort-de-France), mais bien l'insuffisance historique d'une culture politique caractéristique du PPM (Parti Progressiste Martiniquais) et assimilés. Une de leurs rhétoriques favorites était bien d'aller à l'Assemblée Nationale, euh....française, "pour donner une majorité" au président français, parfois, plus modestement, pour "renforcer la majorité du président de la République", mais jamais pour défendre un "intérêt martiniquais" ou pour faire avancer des dossiers martiniquais, que sais-je, l'arrêt immédiat de l'épandage aérien (un écocide calculé), la fin de l'économie de comptoir, la mise en oeuvre d'une politique centrée caribéennement en direction de la jeunesse, etc. Une telle ineptie politique, continuellement ressassée en manière d'une créolistique, démontrait la faible culture politique des dirigeants du PPM. Je l'ai écrit plusieurs fois, depuis le 22 Mars 1958, le PPM s'était contenté d'un copier/coller des positions politiques du PCM (Parti Communiste Martiniquais) dont il était, indirectement, issu ; après la scission dans la Fédération communiste, le 24 Octobre 1956.
Analysant les résultats du scrutin de la semaine dernière, j'avais formulé deux certitudes ; la large victoire de Jean-Philippe Nilor dans toutes les communes de la Circonscription Sud, à l'exception de la commune des Trois-Ilets ; d'autre part, la victoire de Alfred Marie-Jeanne au Lamentin, en étudiant les régionales 2010 dans cette ville. La variable démographique avait fait du Lamentin une ville incontournable pour toute victoire dans cette circonscription redécoupée. Je n'avais pas vu la très nette victoire de Bruno Nestor Azérot, compte tenu de la faiblesse du nombre des suffrages qui s'était porté sur son nom dans les communes de la côte Caraïbe, lors du premier tour ; même, si gagnant au Prêcheur, largement, et à Saint-Pierre et se positionnant favorablement au Carbet, Morne-Vert, Fonds-Saint-Denis et au Morne-Rouge, Marcellin Nadeau s'y était bien comporté. Une de mes hypothèses empiriques c'est l'insignifiance des consignes de report de voix dans un espace publique faiblement politisé. En ce deuxième tour, c'est la très forte mobilisation à Sainte-Marie (54% de participation) et les bons points à Ajoupa-Bouillon, Grand-Rivière et Saint-Joseph qui avaient donné la victoire à B. Nestor Azérot.
Bien que moins impressionnante, la victoire de Alfred Marie-Jeanne sanctionnait un avantage de la culture politique martiniquaise, fût-elle incertaine et vieillie, sur un bricolage politicien hyper-assimilationniste qui s'était installé en Martinique avec le concours du gouvernement français ultra-droite sortant et/ou sorti. Ce bricolage politicien hyper-assimilationniste avait, une nouvelle fois, axé toute sa campagne sur un anti-indépendantisme primaire ; même la droite la plus arriérée et pathétique, quand elle n'était pas ce ridicule groupuscule qu'elle est aujourd'hui, n'avait montré une telle violence anti-indépendantiste et une obstination à l'affaiblissement du peuple martiniquais. C'est ce même délire PPM (aucune opposition interne n'avait signifié son désaccord,) qui avait animé une campagne contre le principe d'un intérêt martiniquais dans la République française. Voter contre le principe d'un intérêt martiniquais, c'était nier l'existence d'un peuple martiniquais, ou même, la réalité d'une population martiniquaise avec ses spécificités locales, dans l'esprit de la constitution française, révisée en mars 2003. Voter contre le principe d'un intérêt martiniquais dans la République française, c'était aussi voter, je l'ai écrit et réécrit en 2010, contre toutes compétences des représentants politiques d'en Martinique (autrement dit, eux-mêmes) à penser les changements nécessaires et incontournables qui s'imposeront à la Martinique (en tant qu'elle est une collectivité territoriale française et/ou en tant qu'elle est une communauté politique, c'est dire en devenir) d'autant et pour autant qu'elle est un pays colonisé dans un monde, bondamannimanman, ouvert. Le même chantage au largage de l'ultra-droite française dans la Martinique d'hier était ressorti, sans aucune précaution d'un dépoussiérage, montrant l'inculture politique et juridique des dirigeants PPM. Touché, parfois, par un éclair de lucidité le poète de langue française reconnaissait qu'il était "entré en politique" par pur hasard ; "ils étaient venus me chercher", disait-il. Les "yich mechan" d'aujourd'hui, (pa majò pou an kaka-nen, tellement l'adjectif "mechan" de la langue martiniquaise traduit essentiellement l'original, l'exception, l'extraordinaire, "an mechan zwèzo" est une très belle jeune femme, an moun ka ni "an mechan tjak an tèt") travaillent, peut-être inconsciemment, à la destruction de la culture politique martiniquaise historique et son remplacement par une subculture politique française modelable au gré des changements politiques, outremer, an tjou man deviran.
Il reste que cette très nette victoire validerait l'hégémonie du MIM (Mouvement Indépendantiste Martiniquais) dans le camp patriotique et pourrait consacrer l'indépendantisme institutionnel. Or, cet indépendantisme institutionnel, lui aussi, participe de l'épuisement les ressources politiques martiniquaises en jouant systématiquement une "coopération ouverte et digne" avec les gouvernements français successifs. Dans la "coopération digne", déterminé, on cherche toujours le compromis, on ne s'oppose jamais pleinement (dans la "coopération molle", ababa djol-koule, c'est bien pire), et l'on brûle des ressources politiques sans compter ; c'est un jeu à bénéfice nul, ce que gagnent les uns et forcément perdu par les autres, sans une autorité politique naturelle, c'est toujours la Martinique qui perd ses ressources. C'est que le principe d'opposition est constitutif de l'identité et de la totalité (la cohérence) des groupes politiques, il est la condition sine qua non de la dynamique des formations politiques. Il faut travailler à réactiver l'indépendantisme militant (PKLS, MPREOM, Gawoule, KLNM, Kole-tèt-kole-zepol, et d'autres) de sorte qu'il densifie et ouvre davantage le champ politique martiniquais sur l'espace caribéen naturel ; de sorte qu'il invente (ou ré-invente) de nouvelles ressources politiques. Sans ressources politiques, incessamment renouvelées, une communauté humaine sombrerait automatiquement dans la violence circulaire.
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