de l'esclavage euro-américain
En dehors des institutions françaises en Martinique, l'école et les
collectivités territoriales principalement, aucune organisation n'avait fait
circuler, durablement, une mémoire sur la formation esclavagiste
euro-américaine. Ce sont bien des organisations martiniquaises qui avaient été à
l'origine d'une prise de conscience du passé esclavagiste en Martinique mais
très vite, elles furent débordées par l'école et les collectivités territoriales
françaises en Martinique, en particulier les municipalités de gauche. Or, ces
institutions françaises en Martinique avaient privilégié un récit de l'esclavage
euro-américain basé essentiellement sur les archives coloniales. Ce récit
méconnaissait, voire méprisait, les nombreuses résistances qui y avaient circulé.
Une "mémoire des archives coloniales" avait fouillé dans les livres de
compte d'habitation, les documents administratifs, les correspondances
européennes transatlantiques, les lettres de péripatéticiennes arrachées à la
misère sexuelle des grands ports européens, les divagations des diables-sourds
de la catéchèse (misie labe di tjwe tanbou a !), les ivresses
d’exotisme de philosophes et amis des "noirs", etc. Ces archives coloniales,
pouvaient elles relever la diversité des populations africaines ? La "mémoire
des d'archives coloniales" avait posé la formation esclavagiste euro-américaine
comme un "système" mais niait l'érection de multiples contre-systèmes qui
avaient précipité sa chute ; tout au plus quelques sous-systèmes structurants
qui auraient amorti le choc de la déshumanisation de l'africain.
Une "mémoire de transmission" composait avec
d'autres sources que l'imprimé, elle s'attardait sur les récits de vie, la
structure de quelques-uns des chanter bèlè, les contes, les
titim-bwachèch, les traditions culinaires, migan-fouyapen et
sòs-o-chen, le jardin vivrier, les styles de vie intime, les
techniques de fabrication du toloman, la pêche aux sirik-bwa, etc. Cette mémoire qui avait circulé dans des
familles et dans des organisations militantes, initiait à la conscience
historique. Cette "mémoire de transmission" avait-elle déjà intégré l'idée
d'une unité-diversité des formations esclavagistes euro-américaines ? Elle avait
listé des contre-systèmes, les marronnages, les épi-religions, musiques et
danses autour du tambour-djouba, les rimèd-razie, jardin
caraïbe, le conte, le parler d'en-Martinique ; une contre-culture qui avait
porté au plus haut un entre-nous salvateur et contribué au
refroidissement ponctuel de la violence circulaire ou la violence
intra-communautaire.
Toutefois, en Martinique, un discours de la
"fierté raciale" (comme une fausse "conscience raciale", parfois une
blackness attitude et/ou "blackism will save the world-
parfois une négritude césairienne inconsolée qui fossilise, parfois un
métissage créolo-dépendant terriblement essentialiste, parfois un
bouillon euro-créolo-négro-débile, les outremers, an-tjou-man-deviran)
dont Frantz Fanon avait montré les nombreuses insuffisances, avait
dénaturé cette "mémoire de transmission", donnant une lecture totalement
erronée et pathétique du phénomène esclavagiste euro-américain, une pensée de
travers, dangereusement holiste qui asséchait toutes les mémoires des
résistances, disons territorialisées, d'en-Martinique. Quelles résistances ont
refréné le choc de la déshumanisation des africains ? Renversant, à peine, la
vision esclavagiste et coloriste française, de la fin du 17e jusqu'au
milieu du 19e siècle, ce discours de la "fierté raciale", comme d’un
véritable défi cynique simplifiait à l'envi ; soit un cynisme angélique où l’on
positive, en l’inversant, une construction raciste européenne, celle d’une
proximité nègre avec la nature ; soit un cynisme commémoratif qui fouillait
fiévreusement dans les sables de Ta-Khenes, - la "terre courbée", Wawat et
Koush -, déterrait le bâton d’Ishango, etc.
Arc-boutée sur ce discours creux de la "fierté
raciale", largement majoritaire dans le pays, l'idéologie martiniquaise
contemporaine avait poliment effacé le généreux paradigme de la "révolution
antiesclavagiste" de Mai 1848 pour la propagande scholchériste et coloriste
(pour ne pas écrire négrophobe ou négrophage) d'"abolition de
l'esclavage".
Même si le récit caribéen sur la formation
esclavagiste euro-américaine participait de cette logique d’une construction
ethno-centrée qui multipliait dangereusement les lieux-communs, les mémoires
caribéennes avaient fait remonter une culture de la ré-humanisation et/ou de la
reterritorialisation de ces populations africaines puis de leurs descendants,
les affirmant, définitivement, caribéens. La question de la place des
"résistances territorialisées" dans la complexité des sociétés caribéennes
aujourd'hui est incontournable si l'on veut sortir du discours "racialiste", le
discours abolitionniste et accéder pleinement au politique, à la révolution
antiesclavagiste.
Entre la "mémoire des archives coloniales" et la
"mémoire de transmission", le récit historique avait déroulé un style, une vision du monde,
weltanschauung, un ordonnancement chronologique, un we-feeling
et/ou we-love together, a:na kalina’ote et/ou nou menm ki
nou menm lan, qui, quand ils dépassaient la simple construction d’un
phénotype, révèlaient une incommensurable complexité des résistances et
révolutions anti-esclavagistes d'hier et plus loin, des pays-cultures-systèmes
caribéens aujourd'hui.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire