dimanche 5 février 2012

Antillanité/Créolisation

"Ce monsieur-là était au serbi.
Les dés en graines ont germé dans sa main

pour deux francs qu'il n'avait pas."

Edouard Glissant, Malemort, Paris 1975

C'était Malemort, le roman d'un désenchantement, qui avait marqué le passage du paradigme de l'antillanité (une intégration politique antillaise) à la poétique des créolisations. Cette idée d'une dynamique toujours renouvelée, d'un mouvement sans fin possible, ce postulat d'une identité qui se construirait dans la relation.
Le concept d'antillanité s'inscrivait dans une filiation intellectuelle (ce qui suppose une vision critique) avec Frantz Fanon ; Edouard Glissant l'avait fondé sur le mode d'une conscience politique, d'une détermination, une maturation, une élévation patiente d'un nous ... heu... martiniquais, et/ou/puis, antillais. Mais ça n'avait pas fonctionné, ça n'a toujours pas fonctionné d'ailleurs, une impuissance des populations d'en Guadeloupe et Martinique à entreprendre le politique, à prendre les chemins de la décolonisation mais surtout une incapacité à se situer dans l'espace/temps antillais et/ou/puis caribéen. Ici, le territoire antillais ne débordait jamais les frontières de Guadeloupe et de Martinique (auxquelles on associait maladroitement, très maladroitement, la Guyane) et le récit antillais ne contait jamais en dehors de l'esclavage colonial et/ou d'un conflit racial persistant dans le post-colonialisme français.
Le concept de créolisation répondait parfaitement à cet éclatement du nous en une multitude de "je" signalé dans La case du commandeur, une sorte de "tomber en folie". La thématique de la créolisation avait circulé dans l'oeuvre glissantien dès Soleil de la conscience mais c'est bien patiemment que Edouard Glissant l'avait construite comme un concept. C'est pourquoi la créolisation avait été un emmêlement complexe dans l'Introduction à une poétique du divers ; une contre-poétique dans Le discours antillais ; un ordinaire métissage dans le Traité du tout-monde ; une dynamique d'intégration des sociétés, très rarement, dans Mahagony et dans La case du commandeur ; une version strictement antillaise du choc des civilisations dans Le Quatrième siècle, Malemort. Ce concept de créolisation permettait d'aller plus avant dans cette vision fanonienne (dès Peau noire, masques blancs) d'une identité qui se construirait et ne pouvait s'hériter. Edouard Glissant l'avait travaillée, la posant dans une relation, dépassant ainsi Frantz Fanon, c'est dire qu'il avait été le penseur antillais, de Cuba à Trinidad and Tobago, le plus fécond.
Comment écrire la filiation intellectuelle de Frantz Fanon à Edouard Glissant ? Cette filiation s'était elle arrétée nette après Le discours antillais ? Quelle place l'oeuvre de Edouard Glissant occupe-t-elle dans l'espace/temps Martinique, et plus largement Caraïbe ? Qu'est ce que l'identité-relation ? L'identité ne présuppose t-elle pas la relation ? Comment construire/déconstruire une identité dans un pays dominé, sans une organisation politique domiciliée ? Comment le lieu façonne t-il l'identité moderne dans le modèle glissantien ?
Ce qui fait l'unité de l'oeuvre glissantien, la continuité de l'antillanité à la créolisation, c'est cette magnificience du lieu. Le lieu suppose le partage, jusqu’à l’intimité car, au fond, l’on "fouille dans la même terre". La pensée d’Edouard Glissant repose sur ce postulat d’une pensée du lieu qui contiendrait et dépasserait la pensée de système qui est au principe des dominations. Et puisque l’on parle bien à partir d’un lieu, ce sont les imaginaires qui commanderaient l’identité-relation. Les poétiques de Glissant invitent à une philosophie nomade qui égrène une taxinomie des lieux et qui dépasse le nativisme ou la magnificence du souvenir.
Pimpe :  isiya la

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