Les dés en graines ont germé
dans sa main
pour deux francs qu'il n'avait
pas."
Edouard Glissant, Malemort,
Paris 1975
C'était Malemort, le roman d'un désenchantement, qui avait marqué
le passage du paradigme de l'antillanité (une intégration politique
antillaise) à la poétique des créolisations. Cette idée d'une dynamique toujours
renouvelée, d'un mouvement sans fin possible, ce postulat d'une identité qui se
construirait dans la relation.
Le concept d'antillanité s'inscrivait dans une filiation intellectuelle (ce
qui suppose une vision critique) avec Frantz Fanon ; Edouard Glissant l'avait
fondé sur le mode d'une conscience politique, d'une détermination, une
maturation, une élévation patiente d'un nous ... heu... martiniquais,
et/ou/puis, antillais. Mais ça n'avait pas fonctionné, ça n'a toujours pas
fonctionné d'ailleurs, une impuissance des populations d'en Guadeloupe et
Martinique à entreprendre le politique, à prendre les chemins de la
décolonisation mais surtout une incapacité à se situer dans l'espace/temps
antillais et/ou/puis caribéen. Ici, le territoire antillais ne débordait jamais
les frontières de Guadeloupe et de Martinique (auxquelles on associait
maladroitement, très maladroitement, la Guyane) et le récit antillais ne contait
jamais en dehors de l'esclavage colonial et/ou d'un conflit racial persistant
dans le post-colonialisme français.
Le concept de créolisation répondait parfaitement
à cet éclatement du nous en une multitude de "je" signalé dans La case du
commandeur, une sorte de "tomber en folie". La thématique de la
créolisation avait circulé dans l'oeuvre glissantien dès Soleil de la
conscience mais c'est bien patiemment que Edouard Glissant l'avait
construite comme un concept. C'est pourquoi la créolisation avait été un
emmêlement complexe dans l'Introduction à une poétique du divers ; une
contre-poétique dans Le discours antillais ; un ordinaire métissage
dans le Traité du tout-monde ; une dynamique d'intégration des
sociétés, très rarement, dans Mahagony et dans La case du
commandeur ; une version strictement antillaise du choc des civilisations
dans Le Quatrième siècle, Malemort. Ce concept de
créolisation permettait d'aller plus avant dans cette vision fanonienne (dès
Peau noire, masques blancs) d'une identité qui se construirait et ne
pouvait s'hériter. Edouard Glissant l'avait travaillée, la posant dans une
relation, dépassant ainsi Frantz Fanon, c'est dire qu'il avait été le penseur
antillais, de Cuba à Trinidad and Tobago, le plus fécond.
Comment écrire la filiation intellectuelle de Frantz Fanon à Edouard Glissant ? Cette filiation s'était elle
arrétée nette après Le discours antillais ? Quelle place l'oeuvre de
Edouard Glissant occupe-t-elle dans l'espace/temps Martinique, et plus largement
Caraïbe ? Qu'est ce que l'identité-relation ? L'identité ne présuppose t-elle
pas la relation ? Comment construire/déconstruire une identité dans un pays
dominé, sans une organisation politique domiciliée ? Comment le lieu façonne
t-il l'identité moderne dans le modèle glissantien ?
Ce qui fait l'unité de l'oeuvre glissantien, la
continuité de l'antillanité à la créolisation, c'est cette magnificience du
lieu. Le lieu suppose le partage, jusqu’à l’intimité car, au fond, l’on
"fouille dans la même terre". La pensée d’Edouard Glissant repose sur
ce postulat d’une pensée du lieu qui contiendrait et dépasserait la pensée de
système qui est au principe des dominations. Et puisque l’on parle bien à partir
d’un lieu, ce sont les imaginaires qui commanderaient l’identité-relation. Les
poétiques de Glissant invitent à une philosophie nomade qui égrène une taxinomie
des lieux et qui dépasse le nativisme ou la magnificence du souvenir.
Pimpe : isiya la
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