dimanche 29 mai 2011

le roman du marronnage


Dans Le Quatrième siècle, Edouard Glissant avait fait d'un acte de marronnage le point départ de l'histoire martiniquaise. Je n'oserai pas, ici, l'épithète caractéristique "antillaise", tellement je sais la diversité des histoires caribéennes insulaires, des Bahamas ou Cuba, à Grenade ou Trinidad and Tobago. L'histoire c'est d'abord un récit et dans les trois romans, Le Quatrième siècle, La case du commandeur et Mahagony, Edouard Mathieu Glissant avait validé cette idée d'une construction historique qui déborde, largement, la chronique "raciste" coloniale. Il fallait aller chercher des mémoires qui étoffent cette histoire là, dans les contes, les kalennda et les ladja, la complexité linguistique martiniquaise, les styles de vie intime, le manger djol-poliyis, etc.
Or, les néo-africanistes, les afro-centristes, les ritualistes (la manie généalogiste), les fondamentalistes (négristes et noiristes) de la "fierté raciale" césairienne qui ont déifié les abolitionnistes français, les créolistes et les "créoleurs" qui ne se sont pas franchement émancipés d'une vision coloriste de l'histoire, tous, ils avaient construit leurs récits sur les livres de bord des capitaines négriers et les livres de compte des géreurs d'habitation ; les correspondances et témoignages, forcément racistes ou au moins racialistes, toujours euro-centrés, des administrateurs et ecclésiastes européens. Le colon avait planté un paysage mais Edouard Glissant nous avait prévenus, sereinement je crois, "le paysage n'est pas le pays". Dès lors, le récit glissantien (lui même en "marronnage littéraire", une réinvention du roman) débordait, largement, la plantation esclavagiste puis post-esclavagiste euro-américaine. Marronner c'est, dans Le quatrième siècle, La case du commandeur et Mahagony, une invention/réinvention du territoire ; une reterritorialisation qui déconstruit le "déportement", la maafa, la tragédie de la traite euro-atlantique, djakè-siplis la, jusqu'à la plantation esclavagiste ou coloniale euro-américaine. Marronner c'était s'engager dans la construction d'un pays, déconstruire l'intention coloniale qui déshumanise, d'où ce paysage qui fonctionne comme un personnage, dans le récit glissantien, et qui démultiplie (densifie et complexifie) le réel.
Le quatrième siècle, le roman du marronnage, avait décrit densément le paysage pour démontrer l'impatience d'une l'histoire martiniquaise dont Edouard Glissant savait les mémoires qui la lézardaient, détachées de toute linéarité, fragiles, parfois incertaines, parfois trop insuffisantes pour accorer durablement une construction classique du lieu-Martinique. En surchargeant la description du paysage dans les mornes, le récit avait, dans Le quatrième siècle, entrepris, plus qu'une contestation humaniste de la plantation esclavagiste, sa disparition. En phase avec le discours fanonien de la décolonisation, Edouard Glissant savait la plantation esclavagiste le lieu d'une terrible déshumanisation ; c'est ici que prenait racines, une aliénation culturelle féroce. Le morne, paysage infiniment ouvert, même quand "les marrons avaient buté, incessamment, sur la mer", avait été fait personnage dans le roman du marronnage (intention structurale) comme d'une écologie nouvelle travaillant à la construction (identitaire) du marron. Longoué avait circulé dans cet écosystème, sans se perdre, pour nous faire comprendre que ce "je" (le négateur) avait fonctionné comme un nous, portant toutes les aspirations de la majorité servile restée dans la plaine, la plantation. Mais Le quatrième siècle n'avait pas visité la plantation, Papa Longué dit l'histoire dans le morne ; en contrebas, la plaine comme muette, amorphe, un espace temps sans histoire véritable, ni même une mémoire, un espace dérèglementé d'où s'échappaient, parfois, des âmes décervelées en quête de guérison et/ou d'une authenticité, toute Martinique. Le négateur ne s'y était aventuré que pour délivrer une esclave, la mère de Melchior et Liberté Longoué ; le récit d'Edouard Glissant n'en dit pas plus sur cette femme. Il semble bien qu'elle n'avait existé qu'à travers le regard que le premier des Longoué avait porté sur cette autre femme également convoitée par le premier des Béluse, dans le pays au-delà des eaux ; le désir serait, partout, triangulaire. Une présence de la plantation esclavagiste circule dans Mahagony, mais le récit se concentre sur des biographies de marrons (Gani, Maho, Mani), sonde des résistances, parfois silencieuses, tout au long de l'histoire martiniquaise, sous forme d'un conte créole ; le paysage y est indiqué mais jamais pleinement décrit. Dans La case du commandeur, le récit se déroule dans la plantation post-esclavagiste, Edouard Glissant remonte la mémoire abrupte par des trajectoires individuelles qui sillonnent indistinctement les mornes et la plaine, illustrant doucement un concept nouveau, la créolisation et le chaos-monde qui y est lié.

Ces trois récits glissantiens tracent une géographie des nombreuses résistances qui ont circulé et structuré le réel martiniquais. La culture et la langue martiniquaises sont bien nées là, dans les mornes, en résistances antiesclavagistes ou, post-esclavagistes, anticolonialistes. Plus tard, le morne avait irrigué la plaine. Il faut y ajouter un quatrième récit, "Tani a déboulé la parabole de l'humanité, elle rassemble dans son fruit les trois directions la quatrième inconnue", Sartorius, le roman des batoutos, en quête d'une humanité, le devenir humain de l'homme, qui dénoue le mystère du pays au-delà des eaux, là où le frère avait vendu l'autre frère, le village l'autre village, stoppant net ce vieil énoncé négrophile et/ou noiriste selon lequel "tout nèg se frè" et posant incontournable l'identité-relation. Sartorius donne comme une terre au pays d'avant, "Les Longoué étaient taris. Et certes le pays infini là-bas au delà des eaux n'était plus ce lieu de merveilles... Taris, les Longoué reposaient en tous", cette idée qu'une part d'authenticité africaine plurielle, avait poussé dans l'être martiniquais. Mais Edouard Glissant avait vite abandonné cette vision trop essentialiste qui circule, pianmpianm, dans Le quatrième siècle pour une vision plus dynamique, plus chaotique, l'emmêlement de la créolisation initiée dans Malemort, tous les revivalismes étaient alors possibles ; Odono, un son et un songe qui interrogent le passé et conjuguent démesurément le futur. L'identité est aussi une construction, d'abord individuelle puis collective, puis individualiste dans des sociétés hyper-sègmentées.
Pimpe isiya nan natifnatal-wanakera-karib

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