dimanche 26 septembre 2010
Sektanm 70
L'historien Gilbert Pago a signé, en 2008, une très bonne biographie de Lumina Sophie dite "Surprise", l'une des figures de proue du soulèvement paysan qui avait embrasé tout le sud de la Martinique en Septembre 1870. Mais, ce petit livre qui s'inscrit dans le prolongement d'une étude sur le rôle des femmes dans l'abolition et la liquidation du système esclavagiste, ne fait, malheureusement, jamais référence à la principale revendication du soulèvement, l'instauration d'une République Nègre en Martinique, la révolution haïtienne pour modèle.
Paradoxalement, tous les ouvrages et articles consacrés à ce moment incontournable de l'histoire martiniquaise ont gommé la dimension politique du soulèvement et l'ont présenté comme une révolte contre l'injustice et le racisme. Seul, l'historien Armand Nicolas, avait consenti, dans la conclusion d'un livret, un supplément à Action, publié en 1977, une conscience politique des seuls leaders de cet épisode de l'histoire martiniquaise qui est référencé sous le titre de l'Insurrection du Sud. Il avait repris cette idée d'une conscience politique des leaders de l'insurrection et même noté la naissance d'un sentiment national, dans la conclusion du chapitre consacré à l'Insurrection du Sud, dans le deuxième de ses trois tomes sur l'histoire de la Martinique. Mais l'historien n'avait pas insisté sur cette revendication d'une "République Nègre-Martinique" comme d'un moteur du soulèvement dont l'affaire Lubin n'avait été qu'une étincelle. C'est le conseil de guerre qui, en 1871, jugeant les insurgés et, insistant sur cette revendication politique, pour mieux les condamner (intelligents, ils avaient nié toute revendication politique, nou pa te la, menm), les avait fait, involontairement, acteurs de l'histoire martiniquaise. Ils avaient voulu peser de tout leur poids d'hommes et de femmes pour instaurer un nouvel ordre politique dans ce pays, pour "dicter des lois et désigner de nouvelles autorités" (Eugène Lacaille, à Rivière-Pilote, le 22 Septembre 1870) et pourtant, leurs descendants, des historiens et intellectuels césairiens et sociaux-révolutionnaires, n'y avaient vu qu'une vulgaire mobilisation contre le racisme et une justice coloniale.
Cette vision naïve de la plupart des historiens et intellectuels d'en-Martinique d'une "insurrection sociale", sans projet politique, sans ressources militaires, essentiellement en dénonciation du racisme, renforce cette idée d'une incapacité politique des martiniquais, cette idée de bonnes gens totalement irrationnels qui auraient pris "le risque d'un anéantissement total", pour dénoncer une injustice, un acte raciste. Partout dans le monde, l'on vengerait ou dénoncerait, individuellement, un acte raciste ; en Martinique, l'on mobiliserait des milliers de personnes (300 personnes sous l'autorité d'Eugène Lacaille et un millier d'hommes et de femmes sous le commandement de Louis Telgard) pour, non plus "dicter des lois et désigner de nouvelles autorités" mais pour dénoncer le racisme et une justice coloniale. C'est ce communisme des mornes qui, d'après la littérature historique et politique d'en-Martinique, rythme le temps à "coups de tête d'un bouc écervelé".
Des soulèvements paysans avaient secoué toute l'Amérique des plantations à la fin du 19ème siècle, "la terre à ceux qui la travaille", la Martinique de la fin du 19ème siècle était encore dans les Amériques ! Terre et liberté avaient été les deux principales revendications de ces soulèvements paysans, Barbade (1876), Haïti ("révolte de la presqu'île du sud" dirigée par Gonan en 1825, "révolte des piquets" dirigée par Ako en 1864), Jamaïque (Gordon's lawsuit, 1865) Cuba (1898), Puerto-rico (1896), Mexique, Colombie, Panama, Guatemala et Nicaragua, Pérou (sublevación campesina de Cañete, 1881), etc. Les insurgés de Septembre 1870 avaient été, presque tous, des cultivateurs. Ces descendants de nèg-mawon, d'affranchis, de libres de couleurs avaient, organisé une agriculture vivrière dans les mornes, créé un marché et un système d'échange, développé une culture-bèlè nouvelle, repensé une spiritualité, fait circuler une langue, construit fiévreusement de nouvelles solidarités, un pays nègre-Martinique, nouveau que leurs descendants, aujourd'hui, ont fait régresser au rang de langue et culture créoles, un mal régionaliste français. Quelles hypothèses heuristiques les historiens et intellectuels césairiens et "sociaux-révolutionnaires" d'en-Martinique ont-ils bricolé pour égarer la principale revendication d'un soulèvement paysan, la terre ?
Au delà d'une inscription trop abrupte dans le paradigme marxiste historiquement euro-centré, c'est la prépotence de la négritude césairienne (pourtant loin, très loin, de la conscience historique et d'un we-feeling martiniquais) qui, par l'idéologie coloriste vicieuse et viciée qu'elle avait maladroitement reproduit, avait contribué à réduire le fait historique martiniquais à un simple conflit social/racial durable, toutes les problématiques du changement social et de la transformation politique en une gobe-égalité sociale.
Pimpe pou plis !
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