Les jacobins noirs,
Toussaint Louverture et la révolution de Saint-Domingue
de C. L. R. James, édition Amsterdam, oct. 2008
Les révolutions antiesclavagistes furent peu nombreuses dans l’espace américain puisque les marronnages et révoltes dont le but premier était la liberté, avaient été les sorties les plus consacrées du système-esclavage. Les révolutions poursuivent toujours un idéal de liberté auquel elles attèlent, systématiquement, une/des revendications en vue d’un accès aux ressources matérielles. La terre et /ou le pain sont les revendications matérialistes les plus souvent accolées à cet idéal de liberté.
Dans sa générosité toute caribéenne, voire américaine, la révolution haïtienne avait curieusement poursuivi deux idéaux sans y adjoindre une demande matérialiste. L’égalité et la liberté sont ces deux principes, empruntés au marronnage et à la révolte d’esclaves qui ont éclairé l’action de ces masses de Saint-Domingue, les ont façonné peuple, autour de Toussaint Louverture puis Jean-Jacques Dessalines, en douze ans de soulèvements, de guerre, de carnage, de trahisons, etc.
Le récit historique caribéen (et même américain) est resté accroché à ce vieux pré-requis d’une histoire caribéenne (ou américaine) comme prolongement de l’histoire européenne ; la révolution haïtienne aurait été fille (ou petite sœur) de la révolution française et C. L. R. James n’avait pas cherché à se débarrasser de cette vision euro-centrée, à l’égarer dans les halliers de l’histoire haïtienne. Il n’avait pas étudié, scrupuleusement, les résistances antiesclavagistes ; la grande communauté Le Maniel dont Santiago avait fait comme un royaume de 7 000 âmes ; l’armée de marrons, 5 000 hommes, de Dieudonné et Laplume ; la force secrète (une arme miraculeuse) de la religion nago ; le parler créole haïtien, les prêches et empoisonnements de Mackandal ; la révolte de Limbe ; le serment de Bwa-kayiman ; les suicides ; les danses dawome-zepol ; Boukman, Biassou, Jean-François, et tous les autres. Ces révoltes et marronnages pré-insurrectionnels avaient non seulement modelé la Révolution haïtienne autour de l’idéal de liberté mais plus avant, avaient permis l’éclosion d’une diversité d’acteurs révolutionnaires déterminés dont Toussaint Louverture et Jean-Jacques Dessalines avaient été les figures majeures. Quels espaces sociaux nouveaux avaient pu faire émerger des acteurs aussi courageux et singuliers ?
Toussaint Louverture n’avait rejoint la Révolution Haïtienne qu’en octobre 1792 soit un peu plus d’an après que Boukman eût donné le signal lors de la cérémonie de Bwa-Kayiman (forêt du Morne Rouge) le 22 aout 1791. Jean-Jacques Dessalines qui fut le premier à proposer l’idéal d’indépendance avait d’abord été lieutenant de Toussaint Louverture avant d’être promu général en chef des insurgés en octobre 1802 lors de la mutinerie de l’armée de Saint-Domingue. C’est cette mutinerie qui avait déclenché le mot d’ordre, « indépendance ou la mort » qui faisait écho au projet de Mackandal puis de Boukman, «exterminer tous les européens pour s’emparer de la colonie». Ce mot d’ordre d’indépendance dépassait les idéaux, trop fuyants, de liberté et d’égalité. Le serment de Bwa-Kayiman et l’organisation à laquelle il appelait ne projetaient ils pas déjà un dépassement de l’idéal de liberté que les marronnages magnifiaient ? Quant à l’idéal d’égalité que Toussaint Louverture, infatigable soldat de la République Française, personnifiait, il limitait la portée même de la liberté puisqu’il attacherait un statut de noir colonisé à cette liberté nouvelle. La liberté contenait déjà la fin du système-esclavage. Pourquoi Cyril Lionel Robert James n’a-t-il pas envisagé dans Les jacobins noirs, une pluralité des aspirations, des niveaux de conscience historique et politique ? Les révolutions, même les révolutions antiesclavagistes prises dans l’étau de la conscience raciale, mobilisent des ressources militaires, politiques, spirituelles et matérielles qui étoffent et intègrent méthodiquement les aspirations vraies, autochtones et marginalisent, jusqu’à désintégrer, les aspirations décentrées, allochtones.
Le livre de C. L. R. James, Les Jacobins noirs, écrit en 1938, a montré la transformation d’une masse d’esclaves qui, habituellement, tremblaient devant quelques petits blancs des colonies, en acteurs de l’histoire. Cette transformation avait individualisé, le lecteur peut s’égarer dans la diversité des visages de la révolution Haïtienne dépeints par C.R.L. James. Elle avait également ré-humanisé, au sens où les acteurs de la Révolution Haïtienne entraient en conscience politique, dépassant la vieille conscience raciale pour se projeter dans le devenir peuple. C.L.R. James a donc tracé une histoire haïtienne bouleversante qui avait circulé à travers le pays et dont l’unité était invisible compte tenu d’une culture politique, et même d’une culture globale, éclatée mais dont les actions parfois sourdes ont cimenté un art de la guerre, achevé.
Toussaint Louverture et la révolution de Saint-Domingue
de C. L. R. James, édition Amsterdam, oct. 2008
Les révolutions antiesclavagistes furent peu nombreuses dans l’espace américain puisque les marronnages et révoltes dont le but premier était la liberté, avaient été les sorties les plus consacrées du système-esclavage. Les révolutions poursuivent toujours un idéal de liberté auquel elles attèlent, systématiquement, une/des revendications en vue d’un accès aux ressources matérielles. La terre et /ou le pain sont les revendications matérialistes les plus souvent accolées à cet idéal de liberté.
Dans sa générosité toute caribéenne, voire américaine, la révolution haïtienne avait curieusement poursuivi deux idéaux sans y adjoindre une demande matérialiste. L’égalité et la liberté sont ces deux principes, empruntés au marronnage et à la révolte d’esclaves qui ont éclairé l’action de ces masses de Saint-Domingue, les ont façonné peuple, autour de Toussaint Louverture puis Jean-Jacques Dessalines, en douze ans de soulèvements, de guerre, de carnage, de trahisons, etc.
Le récit historique caribéen (et même américain) est resté accroché à ce vieux pré-requis d’une histoire caribéenne (ou américaine) comme prolongement de l’histoire européenne ; la révolution haïtienne aurait été fille (ou petite sœur) de la révolution française et C. L. R. James n’avait pas cherché à se débarrasser de cette vision euro-centrée, à l’égarer dans les halliers de l’histoire haïtienne. Il n’avait pas étudié, scrupuleusement, les résistances antiesclavagistes ; la grande communauté Le Maniel dont Santiago avait fait comme un royaume de 7 000 âmes ; l’armée de marrons, 5 000 hommes, de Dieudonné et Laplume ; la force secrète (une arme miraculeuse) de la religion nago ; le parler créole haïtien, les prêches et empoisonnements de Mackandal ; la révolte de Limbe ; le serment de Bwa-kayiman ; les suicides ; les danses dawome-zepol ; Boukman, Biassou, Jean-François, et tous les autres. Ces révoltes et marronnages pré-insurrectionnels avaient non seulement modelé la Révolution haïtienne autour de l’idéal de liberté mais plus avant, avaient permis l’éclosion d’une diversité d’acteurs révolutionnaires déterminés dont Toussaint Louverture et Jean-Jacques Dessalines avaient été les figures majeures. Quels espaces sociaux nouveaux avaient pu faire émerger des acteurs aussi courageux et singuliers ?
Toussaint Louverture n’avait rejoint la Révolution Haïtienne qu’en octobre 1792 soit un peu plus d’an après que Boukman eût donné le signal lors de la cérémonie de Bwa-Kayiman (forêt du Morne Rouge) le 22 aout 1791. Jean-Jacques Dessalines qui fut le premier à proposer l’idéal d’indépendance avait d’abord été lieutenant de Toussaint Louverture avant d’être promu général en chef des insurgés en octobre 1802 lors de la mutinerie de l’armée de Saint-Domingue. C’est cette mutinerie qui avait déclenché le mot d’ordre, « indépendance ou la mort » qui faisait écho au projet de Mackandal puis de Boukman, «exterminer tous les européens pour s’emparer de la colonie». Ce mot d’ordre d’indépendance dépassait les idéaux, trop fuyants, de liberté et d’égalité. Le serment de Bwa-Kayiman et l’organisation à laquelle il appelait ne projetaient ils pas déjà un dépassement de l’idéal de liberté que les marronnages magnifiaient ? Quant à l’idéal d’égalité que Toussaint Louverture, infatigable soldat de la République Française, personnifiait, il limitait la portée même de la liberté puisqu’il attacherait un statut de noir colonisé à cette liberté nouvelle. La liberté contenait déjà la fin du système-esclavage. Pourquoi Cyril Lionel Robert James n’a-t-il pas envisagé dans Les jacobins noirs, une pluralité des aspirations, des niveaux de conscience historique et politique ? Les révolutions, même les révolutions antiesclavagistes prises dans l’étau de la conscience raciale, mobilisent des ressources militaires, politiques, spirituelles et matérielles qui étoffent et intègrent méthodiquement les aspirations vraies, autochtones et marginalisent, jusqu’à désintégrer, les aspirations décentrées, allochtones.
Le livre de C. L. R. James, Les Jacobins noirs, écrit en 1938, a montré la transformation d’une masse d’esclaves qui, habituellement, tremblaient devant quelques petits blancs des colonies, en acteurs de l’histoire. Cette transformation avait individualisé, le lecteur peut s’égarer dans la diversité des visages de la révolution Haïtienne dépeints par C.R.L. James. Elle avait également ré-humanisé, au sens où les acteurs de la Révolution Haïtienne entraient en conscience politique, dépassant la vieille conscience raciale pour se projeter dans le devenir peuple. C.L.R. James a donc tracé une histoire haïtienne bouleversante qui avait circulé à travers le pays et dont l’unité était invisible compte tenu d’une culture politique, et même d’une culture globale, éclatée mais dont les actions parfois sourdes ont cimenté un art de la guerre, achevé.
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