mercredi 22 avril 2009

C'était Aimé Césaire (1913-2008)


Si on me demandait de désigner un poème qui donnerait comme une épaisseur-pays à l’œuvre poétique d’Aimé Césaire c’est, bien sûr, Comptine dans Ferrements que j’aurais choisi. Cet éco-poème qui dit le triomphe de la mémoire, de la vie même, sur la rudesse de l’histoire et le primat de la culture sur la nature, marque un ancrage du poète (peut-être, malgré lui) dans cette terre-mémoire-culture-caribéenne de Martinique.
Comptine qui rassemble ces îlots de mémoires douloureuses gagnés sur l’océan, décale l’universalité de la poésie césairienne, la ramenant, par sautillements multiples, au lieu martiniquais. Les poètes chantent toujours un lieu avec lequel ils font corps, parfois. "Cette pierre sur l’océan élochant de sa bave" que le poète prend pour terre c’est dire une matrice-mémoires qui façonnait ce qu’Aimé Césaire nommait "l’identité martiniquaise". Ferrements marque l’entrée de la poésie césairienne dans le/les temps de l’enracinement. Mais le lieu qui était ici passeur de mémoires données en une seule roche, pouvait-il, déjà, faire la relation avec l’ailleurs-monde, tous les ailleurs possibles ? Les ramures de cette terre-mémoire-culture-Martinique emplissaient le Calendrier lagunaire/Moi, laminaire qui faisait comme une sourde réplique à Comptine/Ferrements et signalait l’enracinement achevé puisque l’ailleurs était ici même, puisque la mémoire tombait dans l’histoire.
Cette terre-mémoire-culture-Martinique, une victoire sur la nature, c’est dire que Aimé Césaire avait travaillé son cri nègre, (le cri césairien n’était pas un cri brut, le cri damassien), renvoyait une densité, une épaisseur que le peuple, dans ses combats quotidiens, donnait aux lieux, à la terre-pays. La poésie césairienne qui était restée campée sur une langue française trop cavalière, revenait au pays réel après une solidarité franche avec les humanités souffrantes partout dans le monde. Elle revenait au pays réel puisqu’elle était partie à la conquête/reconquête de tous ces bouts de monde qui portaient "son empreinte digitale", l’empreinte nègre. Partir pour, "homme-juif, homme cafre, homme-hindou-de-Calcutta, homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas", faire voix avec les sans-voix. Partir, pour s’enrouler dans ces histoires nègres-debout, Haïti, mère de toutes les terres-histoires ; Mississipi/Amérique, un pont d’injustices qui flotte jusqu’aux rives des Caraïbes/Amériques, le Congo rebelle qui pointe une vision trop courte sur le continent-Afrique. Tous ces rivages explorés ont-ils révélé un acteur nègre accompli ? Le Cahier d’un retour au pays natal présentait davantage les traits d’un départ en quête de, dont Ferrements aura scellé le retour obligé.
Qui était le nègre de la négritude césairienne ? Puisque la poésie césairienne n’était pas afro-centrée, puisqu’elle courait le monde, même enracinée dans la terre-mémoire-Martinique, alors le nègre de la négritude césairienne n’avait pas toujours été africain ou ni afro-descendant. Le défaut déterminant des négritudes c’était la négation de la diversité culturelle et politique du continent-Afrique. Les colonialismes et la négro-phobie/mélano-phobie (parfois la négro-phagie) qui les habite, avaient créé cette Afrique là, une et brute, une vieille roche que « l’histoire » coloniale finirait par dompter ; les négritudes en tant qu’elles étaient des contre-discours-colonialistes ont repris, en la renversant doucement parfois, cette Afrique une et brute.
"ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole
ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité
ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel
mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre gibbosité
d’autant plus bienfaisante que la terre déserte
davantage de terre
silo où se préserve et mûrit ce que la terre a de plus terre"
Le cynisme commémoratif césairien était bien en déport des négritudes damasienne (cynisme angélique) et senghorienne (métissage des identités-races-cultures, de l’hellène raison et de l’émotion nègre), elle s’appliquait simultanément à, une identité-culture, une identité-mémoire, une « crypto-identité-race », jusqu’à une proto-identité politique. Parfois angélique, souvent commémoratif le défi cynique césairien arborait une complexité qui n’avait jamais intégré l’identité-langue-Martinique. Or c’est bien cette identité-langue-Martinique qui fait l’histoire et la culture, authentiques. Sans cette identité-langue-Martinique on ne pourrait marronner hors les tracées de l’histoire coloniale ; c’est cette identité-langue-Martinique qui projette.
Dans ce 20e siècle où les mémoires passaient essentiellement par le lieu, la négritude césairienne avait relu trop rapidement une histoire coloniale (coloriste) tombée des carnets de correspondance et de voyages des abbés et négriers du 18e siècle, des abolitionnistes et « amis des noirs » du 19e siècle. C’est sans doute là, une des raisons majeures de son insuffisance politique, cette incapacité à ajouter une voix martiniquaise aux mouvements des indépendances/décolonisations qui ouvraient au/le monde. Cette incapacité à faire rentrer la terre-mémoire-culture-Martinique dans l’histoire et à envisager le pouvoir politique. Cette poésie césairienne enracinée dans la terre-mémoire-culture-Martinique n’a pas eu un écho politique vrai, l’assimilation/départementalisation ne peut-être la décolonisation mais bien une institutionnalisation du fait colonial, une permanence du délire négrophobe/mélanophobe et négrophage.


Aucun commentaire: