lundi 6 avril 2009

"Les puissances d'argent en Martinique-La caste béké"




Guy Cabort-Masson (1937-2002)

C’est en 1982 que Guy Cabort-Masson qui disparût le 27 mars 2002, publia son livre, Les Puissances d’argent en Martinique. La Caste béké.
Dans la première édition, l’auteur, infatigable militant indépendantiste, avait travaillé la dichotomie domination interne, la domination économique de l’ethno-classe béké/domination externe, la domination politique de l’Etat français sur la Nation-Martinique pour mieux comprendre la dépendance politique, économique et sociale de la société martiniquaise. Le travail de Guy Cabort-Masson procédait de l’analyse historique ; chemin obligé pour comprendre une formation sociale qui, dès l’origine, était toute déterminée de l’extérieur. Pour Cabort-Masson, cette caste béké était bien le relais historique de la domination française. C’est pourquoi il avait étudié méthodiquement jusqu’aux styles de vie intime de la caste, les relations matrimoniales (les mariages intracommunautaires) qui attestaient d’une endogamie caractérisée pour montrer qu’en dehors de la sauvegarde d’un capital financier transmis depuis les propriétaires de la plantation esclavagiste, le but était de pérenniser une domination politique. Cette collusion entre Etat français et caste béké, plusieurs fois dénoncée, a récemment été étalée par les békés eux-mêmes dans un film-documentaire.
Un travail de dix années de recherche, tellement l’ethno-classe restait en dehors de la société Martinique, qui était le premier à montrer le double héritage béké ; avant G. Cabort-Masson, une canadienne Edith Kovats Beaudoux avait publié, LES BLANCS CREOLES DE LA MARTINIQUE - Une minorité dominante, mais cette étude sociologique avait négligé les corrélations, pourtant abondantes, entre "capital financier" et "capital racial". Ce double héritage était la condition sine qua non du statut béké ; d’une part, un "capital racial" qui contaminait l’ensemble des relations sociales en Martinique et bloquait tout changement social et d’autre part un capital financier, transmis depuis les premiers esclavagistes et sans cesse gonflé par les subventions européennes qui développait la dépendance de la Martinique.
Un béké n’est donc pas, essentiellement, un individu de phénotype européen né et ayant grandi en Guadeloupe et/ou Martinique. Cabort-Masson l’avait bien compris, d’autant que la quasi-totalité des familles de Guadeloupe et de Martinique compte au moins un membre de phénotype européen (caucasien si tu veux), hors chaben, chabin-kalazaza san papiyot, pòpot-lacho, lapen-chode, etc. Les saintois de Guadeloupe pourtant de type européen ou les matiyon des Grand-Fonds du Moule, supposés apparentés au Prince de Monaco, sont-ils des békés pour autant ? Les déshérités ou expulsés de l’ethno-classe pour exogamie, sont-ils des békés ? Non. Le livre de Cabort-Masson abordait toute cette complexité des phénotypes antillais, par une analyse historique, d’un ton polémiste et résolument provocateur, tellement cette notion de "race", est absurde et surtout surannée.
Le mot
béké, tout droit sorti d’un réflexe occitan "ben que/ben quoi" pris en dérision par les enfants de la deuxième génération d’africains arrivés en Martinique, ne définit pas une "race", la "race" est une excroissance de la paranoïa européenne, ni même une culture (les békés n’ont jamais été des lumières intellectuelles pour créer ou faire circuler serait-ce qu’une subculture) mais bien une survivance de la plantation esclavagiste européenne en Amérique. Ceci pose l’urgence d’un suicide collectif béké, en tant que communauté, comme l’avait souhaité Guy Cabort-Masson, à l’époque, comme l’a proposé le président du PALIMA (Parti de Libération de la Martinique), récemment sur une radio française en Martinique. J’ajoute un petit conseil perso, si zot le ale pi nolfok, anfwa, bwa pou ale yonn-pou-yonn, yonn-dèyè-lot, se pa makrey-natifnatal Wanakera ke plere. Et pour nos amis européens qui ne comprendraient pas cette langue salutaire qui refuse l’épreuve de la traduction immédiate parce que traduttore, traditore nous présentons de modestes regrets, leurs congénères békés comprendront aisément, enfin ceux qui arrivent à passer l’obstacle de la lecture de la langue de Wanakera.
Car enfin, réunir 650 signatures en quelques heures (alors que 300 signatures furent péniblement collectées pour l’agrément d’une loi de la République Française faisant de l’esclavage et de la traite euro-atlantiques un crime contre l’humanité) pour engager des poursuites judiciaires contre trois jeunes internautes, doucement acculturés, pour l’utilisation abusive d’un verbe d’action de la langue martiniquaise, koke, (c’est sans doute une mauvaise traduction/adaptation du verbe "niquer") montre bien la persistance du délire raciste, féodal qui jadis, condamnait au fouet tout nègre portant un regard doucereux sur la péripatéticienne des ports du Havre, de Bordeaux ou quelque grande ville européenne, embarquée dans une aventure américaine pour blanchir une mauvaise vie. "Koke dou akouche pa dou", répétions nous dans les libertés de l’adolescence pour signifier que les plaisirs de l’amour sont toujours passagers. Koke n’est certainement pas violer. En langue de Martinique, les créolistes toujours fébriles écriraient, "en langue créole", violer se dit dekale, dekatje, dekoukounen, depotjole, dekare (Gwadloup), pete-bonda, fè kadejak sou (Ayiti), foule-kaka (sodomiser), anviyole, etc. C’est dire la difficulté de ces bonnes gens, totalement arriérés, à sortir de la sous-culture du viol qui circulait massivement dans les plantations esclavagistes puis coloniales. Ces ridicules tentatives de poursuites judiciaires n’attestent-elles pas d’une prétention à un droit de vie et de mort sur le "nègre martiniquais" ? Faut-il rappeler ici tous ces assassinats pour lesquels les auteurs békés n’ont pas eu à faire une journée de garde à vue. Cette grossière tentative de manipulation de la justice, n’est-elle pas la preuve que l’ethno-classe est sûre de l’appui de l’Etat français? Qu’est qu’un béké dans ce 21e siècle où les individus, même les plus arriérés, ne vivent plus une identité raciale mais bien une/des identités culturelles ouvertes ?
Analysant la collusion Etat français/caste béké, le sous-titre du premier livre est bien l’apartheid discret de la France aux Antilles, Guy Cabort-Masson avait montré l’absurdité de la racialisation des relations sociales, en Martinique. Et si la revendication politique d’indépendance nationale qu’il a portée toute sa vie, était, et est encore parfois, rejetée comme une grande misère sans retour c’est bien que cette ethno-classe béké n’a jamais pu se projeter, comme bourgeoisie nationale à l’instar de ceux de Barbados, par exemple, et plus loin, comme acteur d’une économie martiniquaise.


Guy Cabort-Masson, Les Puissances d’argent en Martinique. La caste béké.
Editions Voix de Peuple, Saint-Joseph, Martinique, 1982.

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