mercredi 18 mars 2009

En finir avec la crise sociale



J’ai souvent écrit la dichotomie peuple/population pour étudier la conscience politique en tant qu’elle est, ici, une variable dépendante. Doucement théorique, comme pour chasser cette turbulente hypothèse d’une entité coloniale fonctionnelle, elle permettrait de comprendre et d’analyser la faillite générale de la socialisation politique en Guadeloupe, Guyane et Martinique. Une dichotomie, c’est dire que ces deux vieilles notions s’irriguent continuellement ; entretiennent des passerelles, des continuités/discontinuités que les problèmes de la vie quotidienne construisent/déconstruisent en permanence.
Cette dichotomie a hanté le mouvement social qui a circulé en Guadeloupe et en Martinique, en ce mois de février de tous les possibles. Dans les deboule de Pointe-à-Pitre et dans les ale-pou-laviktwa de Fort-de-France ("victoire" se dit "katlas" dans la langue de Wanakera), les populations de Guadeloupe et Martinique ont parfois réussi à faire peuple guadeloupéen, peuple martiniquais. Çà et là, des slogans politiques, tendrement nationalistes, peyi a se ta nou (en circulation en Martinique depuis 1997, MODEMAS) et, en Martinique, l’omniprésence du symbole d’unité du peuple martiniquais, le drapeau Rouge-vert-Noir, ont ouvert de nouveaux espaces de parole, des être-ensemble, un espoir de casser l’irréversibilité de l’histoire coloniale, de désarmer la violence quotidienne. Les peuples font l’histoire quand ils s’émancipent de la routine matérialiste des populations, leur délire hédoniste de pousseurs de caddy. Fallait-il pour autant espérer l’avènement d’une alter-consommation, un retour à la valeur d’usage dans le désordre de ces revendications matérialistes ?
"Peyi la se t’an nou/peyi a se ta nou", ce slogan militant fut repris en chœur par des foules dont les revendications, essentiellement matérialistes, ont réhabilité et magnifié, directement ou indirectement, des services déconcentrés de l’Etat français et, dans le même balan, marginalisé les élus locaux. Tout s’est passé en préfecture et jamais dans les salles de délibérations des Conseils Régional, Général et/ou municipal foyalais/pointois. Ce nouveau manquement grave à la domiciliation du politique donnera t-il encore une éclatante victoire aux patriotes lors des prochaines régionales ou territoriales ? C’est que plus la population plonge dans son délire d’alignement de la formation sociale inachevée de Martinique (ou de Guadeloupe) sur le modèle social français, plus elle démontre (par l’absurde) l’exception politique et culturelle martiniquaise/guadeloupéenne et plus le peuple recentre le débat politique, donnant des majorités trop écrasantes qui font un frein au débat démocratique et bloquent le changement politique. Même si des conseillers régionaux et généraux ont animé les manifestations avec des bèlè et ladja (danmie) qui sonnaient le pays réel, même si les exécutifs des deux assemblées furent associés à la grande messe des négociations en Préfecture, cette marginalisation des élus locaux, comme d’un ba'n lè pou'n pase ou même parfois sòt'an pie'n la, a quand même brouillé les petites revendications politiques territoriales (assemblée unique et autonomie de gestion) qui participaient de l’initiative locale. A quelles logiques politiques a donc obéi la mission de médiation d’un préfet qui, entre gaz lacrymogène et commissions "délibérantes", a annihilé une décennie de travaux en commission d’une centaine de conseillers généraux et régionaux ?
Et puisqu’aucune vraie démission politique n’a pris le serrage d’un tel mouvement social, puisqu’aucun courage politique n’a stigmatisé ce manquement à la domiciliation de la revendication sociale et politique alors cette grande victoire sociale annoncée est en réalité une lourde défaite politique du pays-Martinique. Comment un mouvement social qui dénonçait l’absurdité de la
non-responsabilité érigée en système a-t-il pu courir les rues de Foyal, un mois durant, sans une prise de parole politique ? Les mouvements sociaux font toujours problème dans des pays dominés quand ils désactivent la parole politique autochtone. Les revendications salariales et la lutte contre la vie chère sont légitimes dans une économie de comptoir puisque la féodalité des gouverneurs de la plantation et leur vassalité à l’Etat colonial bloquent tout développement politique, économique et social mais, sans principe de développement du marché local et de domiciliation du pouvoir politique, le mouvement social appuie directement l’hégémonie économique de l’ethno-classe dominante et la domination politique française. Plus loin et plus court, il blanchit la domination "sociale-raciale".


Pimpe isiya la pou plis

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