Les ténèbres extérieures
« Eh bien, tu le sais, Daumec, parce que dès le départ, dès la fondation de notre cher Etat, nous avons été en butte à deux défis majeurs, colossaux même : un défi extérieur le plus terrible à savoir le refus du monde blanc d’accepter que les noirs puissent s’autogouverner ; un défi intérieur lié à l’historique affrontement entre la classe des Nègres et celle des Mulâtres. Oui, défis colossaux s’il en fut ! »
L’imagination romanesque est souvent distancée par l’extravagance, le délire et parfois même, l’originalité des dictateurs. Le réalisme merveilleux, caribéen et/ou sud-américain, a ainsi réinventé le roman de dictateur qui saisit les dictatures des Amériques au moment de leur déclin, pour non plus les décrire ou les dénoncer (c’est là le travail de l’historien ou du politique, chercheur ou militant) mais plutôt les explorer, chercher à voir comment elles prennent possession des esprits. C’est pourquoi ce type de roman s’attache, avec passion souvent, à brosser une nuée de portraits de personnages secondaires, parfois loufoques, parfois tristes, souvent détestables, parfois même attachants qui gravitent autour du dictateur. Dans le réalisme merveilleux, le roman de dictateur est comme un art de l’incertitude, un récit du chaos qui, chaque portrait brossé, chaque zone d’ombre explorée, chaque piste désignée, définit ou redéfinit une originalité toute américaine qui étoffe le réel.
Comment l’imaginaire romanesque pouvait-il décrire une réalité aussi fuyante ? Qu’est-ce que la littérature pouvait imaginer pour dépasser les délires, extravagances et originalités des dictateurs des Amériques ? Quels souffles nouveaux, le roman de Raphaël Confiant, les ténèbres extérieures, apporte t-il au roman de dictateur ?
Le récit qui s’organise en six spirales commence sur un Papa Doc perplexe qui contemple son propre cadavre. Le lecteur sait très vite qu’il s’agit d’un sosie (les dictateurs ont toujours un/des sosies) mais retombe dans une nouvelle zone d’ombre quand R. Confiant indique un peu plus loin que Duvalier et son sosie officiel n’étaient pas présents à la fête du drapeau, ce jour là, dans la célèbre ville de Gonaïves, là où un siècle et demi plutôt, Jean Jacques Dessalines proclama l’indépendance. Raphaël Confiant promène ainsi le lecteur sur des pistes multiples, souvent chaotiques, incertaines, à peine ouvertes et aussitôt investies de fausses évidences, à travers une galerie de portraits réalistes dont la finalité est bien de désarmer Papa Doc d’un charisme qu’il n’avait pas. Ces lignes d’intrigue, chaque portrait peut-être une ligne d’intrigue, donnent comme un visage humain à la dictature, un ordonnancement, une manière d’organisation de cette nébuleuse de petites combines et de concussions. La dictature duvaliériste reste cloîtrée dans un palais national, au fil des lignes, désert ; et c’est cette constellation de portraits qui donne un visage au pays dehors dont la décomposition et en même temps le renouvellement, s’accélèrent à chaque portrait, à chaque ligne d’intrigue malgré la rationalité et le conservatisme du Doc. C’est toutefois le personnage de Papa Doc qui donne une unité au récit, qui permet aux portraits de tenir ensemble.
Les ténèbres extérieures se dépouille d’un des fondamentaux du roman de dictateur, l’irrationalité du dictateur. Le Papa Doc de Raphaël Confiant est un monstre de rationalité, un lettré francophone qui tranche net avec les dictateurs analphabètes et superstitieux des Amériques, un monstre froid franco-cartésien qui fréquente peu les foules créoles. Duvalier est un incompris, petit docteur des mornes, il a soigné de nombreuses plaies du pays et veut désormais relever une "race" damnée. La négritude politique ainsi proclamée, comme son pendant philosophico-littéraire est une réponse obligée, un crier-pour-se-faire-entendre, à la sourde oreille que fait l’européen négrophobe. Elle donne, ici comme une légitimité parfois universelle, parfois naturelle à la nébuleuse de népotismes et la projette comme une fidélité à l’œuvre politique du guerrier fondamental J. J. Dessalines. Ce Duvalier là, le Duvalier de R. Confiant, grand électrificateur des âmes, emprisonné dans un palais national, rejeté par ceux la mêmes dont il se réclame, par la langue et la culture, finit par être attachant car dehors, les ténèbres règnent en maître.
« Eh bien, tu le sais, Daumec, parce que dès le départ, dès la fondation de notre cher Etat, nous avons été en butte à deux défis majeurs, colossaux même : un défi extérieur le plus terrible à savoir le refus du monde blanc d’accepter que les noirs puissent s’autogouverner ; un défi intérieur lié à l’historique affrontement entre la classe des Nègres et celle des Mulâtres. Oui, défis colossaux s’il en fut ! »
L’imagination romanesque est souvent distancée par l’extravagance, le délire et parfois même, l’originalité des dictateurs. Le réalisme merveilleux, caribéen et/ou sud-américain, a ainsi réinventé le roman de dictateur qui saisit les dictatures des Amériques au moment de leur déclin, pour non plus les décrire ou les dénoncer (c’est là le travail de l’historien ou du politique, chercheur ou militant) mais plutôt les explorer, chercher à voir comment elles prennent possession des esprits. C’est pourquoi ce type de roman s’attache, avec passion souvent, à brosser une nuée de portraits de personnages secondaires, parfois loufoques, parfois tristes, souvent détestables, parfois même attachants qui gravitent autour du dictateur. Dans le réalisme merveilleux, le roman de dictateur est comme un art de l’incertitude, un récit du chaos qui, chaque portrait brossé, chaque zone d’ombre explorée, chaque piste désignée, définit ou redéfinit une originalité toute américaine qui étoffe le réel.
Comment l’imaginaire romanesque pouvait-il décrire une réalité aussi fuyante ? Qu’est-ce que la littérature pouvait imaginer pour dépasser les délires, extravagances et originalités des dictateurs des Amériques ? Quels souffles nouveaux, le roman de Raphaël Confiant, les ténèbres extérieures, apporte t-il au roman de dictateur ?
Le récit qui s’organise en six spirales commence sur un Papa Doc perplexe qui contemple son propre cadavre. Le lecteur sait très vite qu’il s’agit d’un sosie (les dictateurs ont toujours un/des sosies) mais retombe dans une nouvelle zone d’ombre quand R. Confiant indique un peu plus loin que Duvalier et son sosie officiel n’étaient pas présents à la fête du drapeau, ce jour là, dans la célèbre ville de Gonaïves, là où un siècle et demi plutôt, Jean Jacques Dessalines proclama l’indépendance. Raphaël Confiant promène ainsi le lecteur sur des pistes multiples, souvent chaotiques, incertaines, à peine ouvertes et aussitôt investies de fausses évidences, à travers une galerie de portraits réalistes dont la finalité est bien de désarmer Papa Doc d’un charisme qu’il n’avait pas. Ces lignes d’intrigue, chaque portrait peut-être une ligne d’intrigue, donnent comme un visage humain à la dictature, un ordonnancement, une manière d’organisation de cette nébuleuse de petites combines et de concussions. La dictature duvaliériste reste cloîtrée dans un palais national, au fil des lignes, désert ; et c’est cette constellation de portraits qui donne un visage au pays dehors dont la décomposition et en même temps le renouvellement, s’accélèrent à chaque portrait, à chaque ligne d’intrigue malgré la rationalité et le conservatisme du Doc. C’est toutefois le personnage de Papa Doc qui donne une unité au récit, qui permet aux portraits de tenir ensemble.
Les ténèbres extérieures se dépouille d’un des fondamentaux du roman de dictateur, l’irrationalité du dictateur. Le Papa Doc de Raphaël Confiant est un monstre de rationalité, un lettré francophone qui tranche net avec les dictateurs analphabètes et superstitieux des Amériques, un monstre froid franco-cartésien qui fréquente peu les foules créoles. Duvalier est un incompris, petit docteur des mornes, il a soigné de nombreuses plaies du pays et veut désormais relever une "race" damnée. La négritude politique ainsi proclamée, comme son pendant philosophico-littéraire est une réponse obligée, un crier-pour-se-faire-entendre, à la sourde oreille que fait l’européen négrophobe. Elle donne, ici comme une légitimité parfois universelle, parfois naturelle à la nébuleuse de népotismes et la projette comme une fidélité à l’œuvre politique du guerrier fondamental J. J. Dessalines. Ce Duvalier là, le Duvalier de R. Confiant, grand électrificateur des âmes, emprisonné dans un palais national, rejeté par ceux la mêmes dont il se réclame, par la langue et la culture, finit par être attachant car dehors, les ténèbres règnent en maître.
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