Penser la complexité caribéenne
Forgeant ce concept de créolisation, Edouard Glissant avait choisi de dépasser les "poétiques" de l'héritage culturel africain, de la diversité créole et du métissage culturel afro-eurasien ; il s'était s'acclimaté, malgré lui, au paradigme de la complexité caribéenne. C'est le roman Malemort, paru en 1975, qui avait introduit ce qu'il faut bien étudier comme un changement de poétique, un adieu à l'antillanité. Edouard Glissant avait alors adopté les techniques du conte traditionnel martiniquais pour dire le réel, tout le réel, le réel en étendue.
Pensé comme une dynamique, ce qui suppose la complexité, le concept de créolisation avait pris plusieurs acceptions dans les Poétiques, Esthétiques et Poétries d'Edouard Glissant. D'abord comme un enroulé/déroulé (si ce n'est un déboulé) et/ou/puis un emmêlement doucement naturaliste, Le discours antillais et Introduction à une poétique du divers ; une synthèse, Soleil de la conscience ; confus, un métissage culturel, Une nouvelle région du monde ; plus rarement une hyper-circularité du monde, la mondialité, qui étourdissait, Le monde incréé et Traité du tout-monde ; contingent, un tremblement du monde, Poétique de la relation ; un être-au-monde, La Cohée du Lamentin, toujours une résultante, Introduction à une poétique du divers ; indélébile, une trace des mémoires englouties, Traité du tout-monde ; au hasard un hymne magnifiant le lieu, Philosophie de la relation ; quelquefois la condition sine qua non de la mondialité, Traité du tout-monde et Philosophie de la relation ; enfin, un chaos-monde dans Traité du tout-monde et Philosophie de la relation, etc. L'unité du texte d'Edouard Glissant tient dans la permanence de cette vision d'une dynamique (kouri-lawonn/dekouri-lawonn) des sociétés caribéennes.
Avec ce concept de créolisation et son axiome majeur, l'identité-relation, Edouard Glissant entendait appliquer aux sociétés hyper segmentées du monde entier, une des problématiques sui generis des sociétés caribéennes, la dynamique et la cohésion sociales dans des sociétés sans mythe de création du monde, validant ainsi la nécessaire distinction analytique entre complexité et diversité.
La complexité caribéenne suppose simultanément, le réel en étendue et en profondeur. C'est qu'une circulation de styles de vie caribéens, d'un pays-culturel à un autre pays-culturel, malgré les barrières linguistiques, pouvait irriguer incessamment la modernité. C'est qu'une altérité singulière, des épi-religions (comme un roman des origines, toujours inachevé), des langages nouveaux, des arts qui construisent et/ou déconstruisent le récit commun, pouvaient commander des dynamiques d'intégration (et/ou désintégration) caribéenne spécifique. C'est que des pesanteurs historiques, comme autant de survivances, pouvaient, ponctuellement, contaminer des actions humaines modernes et pervertir le récit des origines. Le concept de créolisation de Edouard Glissant avait bien initié à la complexité caribéenne, cette dynamique d'intégration culturelle et politique de sociétés "échappées" de l'enfer de la plantation américaine mais le poète-philosophe n'avait pas fouillé cette complexité là, peut-être pour conjurer une incapacité, toute martiniquaise, à rentrer dans l'histoire, à penser le politique.
Pimpe isiya la
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