J’ai lu assidument et savamment étudié le Manifeste pour les produits de haute nécessité. L’écriture poétique qui campe ce manifeste le rend difficilement lisible et même la pleine solidarité déclamée avec le mouvement social guadeloupéen et/ou martiniquais, dès la première ligne, n’arrive pas à donner une fluidité au raisonnement. C’est qu’un manifeste est toujours en décalage, voire en rupture, devançant parfois la revendication sociale parce que forcément politique.
J’ai écrit ailleurs, dès les premiers jours, ma solidarité réfléchie avec le mouvement social qui secoue la Guadeloupe et la Martinique, regrettant l’incapacité du mouvement à entrer dans le champ/contre-champ politique et à convoquer, après un mois de conflit en Gwadloup, les Etats Généraux du Peuple Guadeloupéen. C’est qu’une plate-forme qui porte 132 points de revendications est déjà un programme de gouvernement. C’est qu’une plate-forme de revendications de 39 points et 15 jours de mobilisation auraient pu accoucher des Etats Généraux du Peuple Martiniquais. Or, aucune revendication politique claire (autonomie politique, indépendance association, réintégration caribéenne) n’a accompagné le mouvement. J’ai déjà insisté sur une des insuffisances majeures du mouvement social, en Guadeloupe et en Martinique, pays dominés, l’hégémonie de la revendication salariale (et la trop folklorique "liste des produits de première nécessité " appuie terriblement cette insuffisance) qui, à terme anéantirait définitivement le marché local, légitimerait la domination interne, l’apartheid et donnerait quitus à la domination externe, la domination politique. Plus grave un marché local définitivement annihilé, c’est le changement social qui deviendrait impossible. La solution en Guadeloupe et Martinique passe par la réhabilitation du marché local. Elle est donc hautement politique puisqu’il faut un pouvoir politique domicilié (pas la ridicule autonomie de gestion de l’article 74 de la constitution française souhaitée par messieurs A. Marie-jeanne et C. Lise) pour établir un calendrier de cette réhabilitation. Se pa jòdi man ka panmen sa. Le manifeste des neuf intellectuels n’arrive pas à dire la domination politique, il imagine un "cadre politique de responsabilité pleine", et murmure une part de souveraineté pour contenir les ravages du capitalisme mais malheureusement n’introduit aucun calendrier de conquête/reconquête de cette "responsabilité pleine". Au fond, ce manifeste entend refonder les sociétés martiniquaise et guadeloupéenne sans outil politique, sans faire de politique. Cette naïveté, c’est d’une incohérence qu’il s’agit, emprunte aux vieux lieux-communs "domiens" qui simplifient terriblement, ramenant des réalités caribéennes à des vécus « Mascareignes » et des réalités insulaires à un monde continental et qui reproduisent inconsciemment une idéologie coloniale éculée. Un manifeste n’est jamais dans l’imaginaire ; c’est qu’il fait futur de la diversité des revendications immédiates. C’est qu’il se plante dans des états de luttes politiques.
Mais puisque la vie chère est faite, en Guadeloupe, Guyane et Martinique, par l’insignifiance du marché local et le déséquilibre de la balance commerciale, les taux de couverture des importations par les exportations ne dépassent pas 7.1 en Guadeloupe et 28.7 en Martinique, alors les solutions immédiates proposées par le mouvement social rendent nécessaires tous les manifestes, fussent-ils poétiques. C’est que ces derniers font circuler comme un espoir (et certainement pas une espérance), un devoir de projection, ils apaisent le passé, conjuguent un optimisme péléen et jouent aux tek-mab dans le futur. Le Manifeste pour les produits de haute nécessité entend faire de la Martinique une pionnière du post-capitalisme. Le socialisme bolivarien de Hugo Chavez ou le castrisme, désormais en pyjama, de Cuba Socialista ont butté incessamment sur cette ambition là malgré le plein de ressources politiques. Comment accéder au post-capitalisme alors que la Martinique, engluée dans le mercantilisme d’une plantocratie féodale, n’est toujours pas entré dans le capitalisme ? Et, mondialisation de l’économie aidant, puisqu’aucun pays ne peut faire l’économie de sa géographie, comment peut-on encore croire au développement économique, politique, sociale et culturelle sans une pleine intégration de l’espace caribéen, sans la réhabilitation d’un marché local ?
Distancié de la revendication essentiellement matérialiste qui courre les rues de Guadeloupe et Martinique, le Manifeste pour les produits de haute nécessité s’inscrit délibérément dans un post-matérialisme impossible dans des pays écrasés par la domination politique, économique et sociale-raciale. Il imposerait un rythme, sans doute trop poétique, qui déséquilibrerait rageusement des formations sociales épuisées par quatre siècles de domination politique et sociale-raciale et soixante-trois ans d’une anarchie coloniale intégrée. Les peuples de Gwadloup, Gwiyann, Matnik sont encore fortement demandeurs d’un progrès social que la départementalisation a mis entre parenthèse. Or le post-matérialisme suppose la libre-circulation, jusqu’à l’aboutissement du progrès social.
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