mercredi 17 septembre 2008

Quand la langue bafouille


Une des ruelles de La Trinité a été rebaptisée « chemin des caillemites ». La langue française n’écrit pas systématiquement caïmite, (chrysophyllum caimito, de la famille des sapotacées, redoutable antidiabétique et anti-inflammatoire de la pharmacopée amérindienne et caribéenne) ; le parler français des Antilles hésite entre kaymit et kayimit de la langue martiniquaise.
La surprenante graphie trinitéenne, sans doute une des nombreuses « fantaisies » du cacique local, trahit une méso-langue grotesque qui déconstruit, chaque jour, un système de communication original arraché de la violence de la formation esclavagiste américaine de Martinique. Hors Sainte-Anne et Rivière-Pilote, dans toutes les villes de Martinique, l’édilité a renommé tous les quartiers en chemins et a soigneusement réservé des noms d’écrivains et hommes politiques français, ces grands humanistes contestataires d’esclavages et de colonialismes, pour les rues du centre-ville. Enlisée dans les affres d’une diglossie obligée, la Martinique tropicalise ses lieux-dits pour conjurer les vieux démons d’un assimilationnisme et d’un manque de courage politique qui, chaque jour, enfoncent le pays dans une anarchie coloniale intégrée. Dans les centres-villes, là où les délinquants prennent le pouvoir dès 18 heures, aucun écrivain (ou artiste) martiniquais n’habite les rues. G. Cabort-Masson, S. Césaire, M. Cultier, F. Fanon, L. Gabriel, G. Gratient, M. Manville, R. Ménil, E. Mona, C. Nardal, X. Orville, V. Placoly, A. Stellio, Ti Emile, et tous ces hommes et femmes qui ont donné une/des histoire(s) à ce pays, C. Bissette, D. Bolivard, F. Fabulé, J. Kina, E. Lacaille, Pory-Papy, Monsieur L. Telgard, Madame L. Sophie, A. Villard, et tous ces écrivains artistes et hommes politiques caribéens et américains qui ont participé à l’identité de ce continent, L. Armstrong, Anacaona, Atahualpa, S. Bolivar, Boukman, M. Davis, J.J Dessalines, E. Che Guevarra, N. Guillén, W. Lam, E. Manley, J. Marti, J. Roumain, A. Trubman, E. Williams, Yupanquí, Zumbi de Palmarès, et d’autres ; tous ont déserté les rues de Martinique.
La ville du François, sud-Atlantique du pays, accole une traduction créole ingrate, et tellement inutile, à la dénomination française des lieux-dits, « bois-soldat, bwa-solda » ; « pointe-savane, pwent-savann » ; « chemin des pois doux, chimen pwa-dou ». Traduttore, traditore atteste un vieil aphorisme italien, chemin faisant dans les routes de ce paradis où la voiture supplante l’être humain, tous les chemins de Martinique mènent au même suicide politico-culturel.
Qu’est-ce qui fait que les locuteurs de la communauté martiniquaise choisissent une méso-langue pathétique (un entre-deux langues) en lieu et place de la langue naturelle ? Quelles logiques politiques ont permis ce mal-être politique et culturel où seul l’instant, l’immédiat, est de raison ? Quelle domination politique réussie a façonné ce système de dévalorisation systématique de soi, de la langue et de la culture martiniquaise, cette incapacité à se projeter ?
Comme partout dans le monde, le culturel s’est effondré en Martinique donnant davantage d’espace, d’hégémonie à la domination politique et démultipliant la délinquance qui, dorénavant se pose en acte de résistance, en fait de neg-mawon, en manière de rébellion/évasion. La domination politique a ainsi vidé le pays de toute culture et c’est sur la langue martiniquaise qui facilite la circulation des valeurs martiniquaises, que l’anarchie coloniale intégrée a porté tout l’effort de dénaturation et de dévitalisation. La méso-langue (en fait il s’agit du premier niveau d’intégration de la langue française) qui circule en Martinique, ne projette pas, elle permet juste de tourner en rond, en attendant la fin programmée du pays-Martinique.

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